Exposition

Embra(s)se-moi !

Alexia Defluff + Floriane Davin + Johanna Rocard + Collectif MILSON

Nuptialism, par Alexia Defluff, installation interactive

 

Allégorie d’une conception impérative du retour à la nature en réaction aux dérives des systèmes économiques et sociaux dominants dont l’artiste détourne l’étymologie, Nuptialism introduit la question de la réhabilitation du genre humain vis à vis de son écosystème dans un contexte anthropocénique devenu indéniable. L’utilisateur se retrouve engagé dans une parade nuptiale avec un oiseau fantastique. Il est alors invité à se mouvoir dans l’espace à l’aide de capteurs cinétiques afin d’identifier les séquences susceptibles de satisfaire son alter ego numérique.
Issue d’une formation 3D, Alexia Defluff évolue d’abord dans le cinéma d’animation puis dans le videomapping monumental. Ce bagage technique lui permet de créer des artefacts visuels tout en détournant leur usage dans l’espace. Titulaire d’une recherche reposant sur la fantasmagorisation du réel à l’aide d’outils digitaux, l’artiste porte une réflexion relative aux points de friction et d’impérative coexistence de l’Homme et du reste du vivant. Il en résulte une cosmogonie composée de bestiaires fantastiques dont le comportement est immanquablement lié aux actions du regardeur.

 

Tu as-tu hâte ?, par Floriane Davin, série photographique

 

Réminiscence du Concours international d’art pyrotechnique de Montréal accueilli en 1985 par La Ronde -parc d’attraction iconique de la métropole construit à l’occasion de l’Exposition universelle de 1967, elle-même toujours prépondérante dans la structuration de la vie culturelle québécoise contemporaine – la saison des feux d’artifice de la métropole s’étend de la mi-juin à fin juillet. Ce fragment du folklore populaire local demeure à ce jour un espace de socialisation incontournable de la période estivale réunissant chaque année 3 millions de personnes. D’avantage que l’évènement en lui-même, c‘est la captation de son attente de de son anticipation par le public qui a retenu l’œil de l’artiste. En lieu et place de communion, l’impression visuelle laissée par ce triptyque tend d’avantage à nous donner la sensation d’une mutation de l’espace publique en une multitude d’espaces individuels. Privé de son substrat fédérateur, le rite semble alors dévoyé, perdant son statut de ferment festival au profit d’une construction sociale individualiste.
Diplômée de l’École Européenne Supérieure des Beaux-Arts de Bretagne, Floriane Davin se spécialise à l’université de Montpellier 3 dans la narration trans-média. Dans un rapport à la limite du documentaire et de la fiction, son travail s’articule autour des questions du temps long, du rapport à l’espace et de la figuration. Si la photographie et la vidéo constituent ses médiums de prédilection, c’est autant la dynamique du collectif que l’espace dans lequel son travail s’inscrit qui définissent les formes de monstration privilégiées par l’artiste.

 

Bataille Nocturne, par Johanna Rocard, installation plastique

 

Dans Maman j’ai raté l’avion, film culte des années 90, Macaulay Culkin met en scène une fausse fête composée de mannequins articulés et de figurines en carton échelle 1 qu’il active a l’aide de ficelles attachées aux différentes parties de son corps. Astuce enfantine pour effrayer les voleurs qui rodent, la scène remet au goût du jour la figure de l’épouvantail, celui qui épouvante et terrifie. L’objet, ayant le plus souvent la forme grossière d’un mannequin recouvert d’oripeaux, nous raconte une histoire où s’imbriquent artefacts de présences humaines, peurs et protections des sols en germination. A partir de là, images et récits se superposent, entre autre celles des grandes batailles nocturnes des Benandanti du Frioul. On dit que certains membres de la société civile voyageaient en esprit pendant leur sommeil afin de lutter contre les forces obscures et protéger les récoltes à venir. Munis de branches de fenouils, ils attendaient les mauvais sorciers, eux armés de branches de sorgho. Les femmes, une fois quitté leur corps endormis, dansaient, mangeaient et buvaient en compagnie des esprits et chantaient les noms de ceux qui allaient mourir dans l’année. Des centaines d’années plus tard, en Angleterre, les autorités britanniques, avec à leur tête Margaret Thatcher, promulguent une loi obligeant les boîtes de nuit à fermer à 2 heures du matin. Pour prolonger la fête, une seule solution : investir des endroits non autorisés dans les sous-sols de la ville et campagnes environnantes. C’est la naissance des free-parties et le retour des danses de sols, intimement liées aux résistances du contre-pouvoir anglais face au libéralisme ultra agressif du système en place. On retrouvera ces résistances au cœur du mouvement politique et festif Reclaim the streets qui agite à nouveau le monde anglo-saxon en 1994, doublé cette fois d’un discours manifeste écologiste puissant. De tout temps, les gouvernances cherchent à discréditer et démanteler les rituels communautaires et païens de protection des sols. Pourtant, les sabbats, les transes vaudous, les épidémies choréiques, les fêtes sauvages, les danses de sols ont résisté et restent encore des nids et déclencheurs de révoltes nécessaires. Aujourd’hui les épouvantails ont été remplacés par des effaroucheurs d’oiseaux sonores constitués de cris d’alarmes et de signaux de détresse. Corps en mouvements et voix s’accordent aujourd’hui pour protéger les sols et réclamer le droit à une vie plus florissante, moins mortifère. La révolte est joyeuse et nécessaire, et la peur, enfin, change de camp.
Johanna Rocard combine dans son travail des éléments disparates porteurs d’une mémoire incertaine et fictionnalisée : bouquets et ornements floraux, reliques de rituels païens énigmatiques, images d’archives de temps révolus ou imaginaires, pierres magiques ou débris, corps anciens et en devenir. Activés par des gestes du soin ou du transfert, l’artiste les charge d’une énergie à la fois intime et partageable, d’un commun qu’il s’agit de réinvestir par l’honnêteté et l’engagement. Johanna Rocard invente ainsi un langage archéologique du devenir, témoin d’une société où le retour aux communs, l’usage de la fiction et la pensée sauvage sont les seules alternatives aux crises et catastrophes actuelles.

 

Les pétards et les feux d’artifice de Naples, enregistrements par Olivier Féraud, montage RFI en collaboration avec les anthropologues de MILSON (CNRS), création sonore

 

Chaque année, le soir du 31 décembre, pour Capodanno, Naples s’embrase. De dix-neuf heures à deux heures du matin, les botti (pétards), les bombe et le track explosent au sol, tandis que les fuochi (feux d’artifice) tombent du ciel. Les pétards et les feux d’artifice de Naples est le cinquième épisode d’une série de huit cartes postales sonores réalisées sous la houlette de RFI en collaboration avec les anthropologues de Milson, un programme du Centre de recherche en ethnomusicologie (CNRS) qui étudie et raconte la diversité des sociétés du monde à travers ses milieux sonores.
Le programme MILSON – Pour une anthropologie des MILieux SONores – regroupe anthropologues et artistes qui envisagent le sonore ambiant dans son contexte socioculturel de production et de perception. Il réfléchit aux confins généralement attribués au sonore et explore des objets tels que les productions vocales dans les espaces publics ou d’autres modes d’interactions sonores observables sur les marchés, dans les îlots de quartiers, les lieux de culte, les gares. Il aborde ces sites comme de véritables dispositifs d’interaction sociale qui impliquent des processus de perception sonore et des découpages singuliers de l’espace. En s’appuyant sur les acquis d’autres disciplines (acoustique, architecture et urbanisme, histoire, linguistique, art, informatique), il interroge certaines modalités de construction sensible de la vie sociale sur la base d’enquêtes de terrain effectuées en différents contextes culturels. Il allie de manière raisonnée enquêtes ethnographiques, réflexion théorique, développement d’outils méthodologiques et réalisations multimédia. MILSON est un programme du Laboratoire d’Ethnologie et de Sociologie Comparative (LESC/ UMR 7186 du CNRS – Université Paris Ouest Nanterre).